Effacement du barrage de Maisons-Rouges

Rivière Vienne (bassin de la Loire), Indre-et-Loire, France, 1998

Contexte

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Barrage de Maisons-Rouges © Roberto Epple – ERN France

Construit en 1922 sous le régime de la concession hydroélectrique, à 800 mètres à l’aval de la confluence de la Vienne et de la Creuse, le barrage de Maisons-Rouges présente un dénivelé de 4 mètres environ (à l’aval d’un bassin versant de près de 20 000 km2). Créé au départ pour les besoins d’une papeterie, il a ensuite été intégré dans le patrimoine d’EDF. La position de ce barrage, le premier depuis la mer, sa situation à une confluence de grandes rivières ont entraîné un fort impact sur de nombreuses espèces de poissons migrateurs. Notamment le saumon, qui souffrait déjà d’une réduction de l’accès à une partie des frayères, a disparu. Les aloses se sont cantonnées sur une frayère relictuelle à l’aval du barrage, avec des problèmes d’hybridation entre Grande Alose et Alose feinte. Les diverses passes à poissons construites ont eu une efficacité très faible, et les différents plans de réintroduction du Saumon sur la Gartempe, affluent de la Vienne, n’ont pas eu de résultats probants.

Dans le cadre du plan « Loire Grandeur Nature » adopté en janvier 1994, le Gouvernement a décidé que la concession de ce barrage ne serait pas renouvelée à son expiration le 31 décembre 1994 et que l’Etat, devenant propriétaire du site à l’expiration de la concession, entreprendrait la démolition de cet ouvrage, en raison de l’importance des impacts, non compensés par un intérêt économique suffisant.

Le « Plan Loire Grandeur Nature »,  programme de gestion du bassin de la Loire, qui vise à concilier la sécurité des personnes, le développement économique et la protection de l’environnement, comporte un volet de restauration des populations de saumons. Ce volet inclut la destruction d’autres barrages sur le bassin de la Loire, la construction d’une salmoniculture sur le Haut-Allier, l’interdiction de la pêche au saumon et l’élimination d’autres obstacles à la migration du saumon.

Maîtrise d’ouvrage

La maîtrise d’ouvrage a été assurée par l’Etat (Ministère chargé de l’environnement). L’opération a été conduite par la direction départementale de l’Equipement d’Indre et Loire et la maîtrise d’oeuvre par EDF. Le coût s’élève autour de 2,2 Million (14 millions de Francs). Il a été assuré par le Ministère de l’aménagement du territoire et de l’environnement, avec des aides de l’agence de l’eau et d’EDF.

Difficultés particulières

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Démantèlement du barrage de Maisons-Rouges © Roberto Epple – ERN France

La principale difficulté a été l’opposition des élus locaux, en raison de pertes fiscales significatives pour plusieurs communes rurales. Elle a conduit à engager un plan d’accompagnement économique, de même importance financière que le coût de la démolition proprement dite. D’importantes aides ont été accordées par l’Etat, l’agence de l’eau, EDF et les collectivités territoriales pour des opérations de développement local.

La démolition a été réalisée pendant l’été 1998, les difficultés techniques ayant bien été appréhendées par la maîtrise d’œuvre. Après isolement d’une première moitié du chantier par des batardeaux permettant de conserver jusqu’à la fin août le plan d’eau nécessaire à l’irrigation des terres agricoles, la démolition a consisté essentiellement en un découpage des 3 rideaux de palplanches au chalumeau et en la démolition à la pelleteuse du corps du barrage. Un seuil noyé a été reconstitué en fond du lit de la rivière pour éviter, d’une part, des érosions régressives, prévisibles en raison de l’existence d’anciennes extractions massives de sable dans le lit de la Vienne et de la Loire, et d’autre part pour limiter la migration des sédiments situés en amont de la retenue.

Les sédiments constitués de sable n’ont posé aucun problème de qualité. De nombreux pompages agricoles qui existaient dans la retenue ont été rétablis par l’Etat (le coût du rétablissement est intégré dans le coût global de la démolition). Par contre, un camping, proche de la confluence 800 m à l’amont du barrage, a subi un glissement de terrain et un des bâtiments présente quelques fissures, sans doute en partie à cause de la modification des écoulements des eaux souterraines liée à l’abaissement de 4 mètres du plan d’eau.

Bénéfices de l’effacement

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Maisons-Rouges, 10 ans après l’effacement.
© Roberto Epple – ERN France

Les aloses ont rapidement bénéficié de l’effacement du barrage : 433 aloses ont été capturées sur la Vienne à Chatellerault, 20 km à l’amont de Maisons-Rouges (91 dans la passe à poissons et 342 en pêche de sauvetage ; elles ont toutes été relâchées, parmi elles, 156 à l’amont du barrage) et 15 sur la Creuse à l’aval de Descartes, 12 km à l’amont de Maisons-Rouges. Des frayères actives ont été observées sur la Vienne à Chatellerault et sur la Creuse à l’Ilette. Des lamproies ont été observées sur la Vienne en aval du barrage de Chatellerault. Une recolonisation conséquente par la lamproie a été constatée sur la Creuse jusqu’à St-Gautier, sur la Gartempe jusqu’à Saulgé et sur l’Anglin jusqu’à Concrenier. L’observation en juillet 1999 d’un saumon vivant, de 88 cm de long et d’un poids de 4,8 kg, dans la Gartempe à Châteauponsac en Haute-Vienne est un signe encourageant. Il n’avait pas été observé de saumon à ce niveau de la rivière depuis les années 20, après la construction du barrage de Maisons-Rouges. Ce retour symbolique du saumon, après celui des aloses et des lamproies constaté cet hiver, confirme les effets bénéfiques de l’effacement du barrage de Maisons Rouges pour les poissons migrateurs.

Le programme de suivi mis en place sur 10 ans suite à l’effacement du barrage, par l’Université de Chinon, a montré une augmentation exceptionnel du nombre de poissons migrateurs.

Quelques chiffres, en 2004 et 2007, la station automatique de comptage situé 20 km en amont de Maisons-Rouges a enregistré respectivement :

  • 3 500 et 9 500 aloses
  • 8 300 et 41 600 lamproies marines
  • 2 et 12 truites de mer
  • 2 et 11 saumons sauvages adultes

De plus, seulement pour la Creuse, en 2007 environs 9 000 aloses, 51 000 lamproies marines, 4 truites de mer et 60 saumons sauvages ont été dénombré à la station de comptage automatique de Descartes, 12 km en amont de Maisons-Rouges.

la démolition de ce barrage a été sans aucun doute un succès. En parallèle de l’étude sur les poissons migrateurs, il a aussi été démontré une très importante réduction du déficit sédimentaire dans le lit mineur de la Vienne, avec un impact positif jusque pour la Loire.

En savoir +

  • Poissons migrateurs sur le bassin de la Vienne, Perspectives de développement après effacement du barrage de Maisons Rouges, JF LUQUET, octobre 1993.
  • Le franchissement du barrage de Maisons Rouges sur la Vienne par les poissons migrateurs, rapport d’expertise, M. LARINIER et F.TRAVADE, 1993.
  • La suppression totale du barrage de Maisons Rouges au Bec-des-Deux-Eaux sur la Vienne : une nécessité pour l’avenir des migrateurs et de la socio-économie des pêches, Dr P. BOISNEAU de l’Association agrée interdépartementale des pêcheurs professionnels du bassin de la Loire et des cours d’eau bretons, mai 1994.
  • Expertise du génie civil du barrage de Maisons Rouges, bureau d’étude ISL pour la DDE Indre et Loire, octobre 1996.
  • Compte rendu de la réunion qui s’était tenue le 21 novembre 1996 à la préfecture d’Indre et Loire, sur l’avenir du barrage de Maisons Rouges.
  • « Résumé non technique « , partie IV de l’étude effectuée par SEPIA Conseils, décembre 1997.
  • Restauration des Poissons Migrateurs du Bassin de la Vienne : Objectifs et Investissement, Conseil Supérieur de la Pêche (Cellule Plan Loire), novembre 1996.
  • Etude de faisablité et de programmation pour un projet de développement local : Pôle d’Animation sur la Vallée de la Vienne et les Poissons Migrateurs sur la commune de Ports-sur-Vienne, demandée par la Préfecture d’Indre-et-Loire, avril 1999.
  • Abondance de la Grande Alose dans la Loire, bilan de différentes études, 1998.
  • Revue de presse.
- Effacement du barrage de maisons Rouges, synthèse de O. CLERICY et P. BERTEAUD, 1994.
  • Etudes des modalités et des implications de l’effacement du barrage de Maisons Rouges, SEPIA-CONSEIL, 1994.
  • Etudes des conséquences socio-economiques de l’effacement du barrage de Maisons Rouges, Groupe Cohérences, 1994.